Eduard Streltsov, le Pelé russe brisé dans son élan
Photo: ©sports.ru
Eduard Streltsov
Eduard Anatolyevich Streltsov/Эдуард Стрельцов
Né le 21 juillet 1937 à Perovo (RUS)
Décédé le 22 juillet 1990 à Moscou (RUS)
Surnom: Le Pelé Russe
(Matchs amicaux: 24 sélections, 19 buts)
(Qualif Coupe du Monde: 5 sélections, 3 buts)
(Qualif Coupe du Monde: 5 sélections, 1 but)
(Jeux Olympiques: 4 sélections, 2 buts)
1ère sélection : le 26 juin 1955 contre la Suède (6-0)
Dernière sélection : le 4 mai 1968 contre la Hongrie (0-2)
1953/58 Torpedo Moscou (RUS) 96 matchs, 54 buts
(Championnat d'URSS: 89 matchs, 48 buts)
(Coupe d'URSS: 7 matchs, 6 buts)
1958/63 en prison
1964/70 Torpedo Moscou (RUS) 160 matchs, 63 buts
(Championnat d'URSS: 133 matchs, 51 buts)
(Coupe d'URSS: 18 matchs, 9 buts)
(Coupe d'Europe des clubs champions: 2 matchs)
(Coupe des Coupes: 7 matchs, 3 buts)
Eduard Streltsov a été sans doute le plus grand talent de l’histoire de l'Union Soviétique. Son destin tourmenté, marqué par quatre ans de "camp disciplinaire" en pleine guerre froide, en a fait une icône.
Au contraire du roi Pelé, véritable légende du football, Eduard Streltsov est inconnu du grand public. Pourtant, le triple champion du monde brésilien voyait en lui un adversaire de taille: "Mon plus grand rival? Eduard Streltsov. Et encore, je pense qu’il était meilleur que moi." Flamboyant sur le terrain, il impressionnait par ses qualités physiques, son jeu de tête, sa vitesse et sa capacité à dribbler. Spécialiste de la talonnade surprise, Streltsov était le prototype du footballeur complet et peut-être un des inspirateurs de l’avant-centre actuel type. Il savait marquer et faire marquer les autres, jouant de son rôle de pivot et de sa supériorité technique, dans la couverture de balle en particulier.
Issu d’une famille d’ouvriers, le natif de Perovo ne connaîtra que très peu son père parti au front combattre les Allemands. Désintéressé par l’école, il préfère jouer au football. Sa mère travaillant dans une industrie métallurgique, il intègre l'équipe de l'usine à seulement 13 ans et dévoile tout ses talents lors d'une rencontre face au Torpedo, le club qui monte dans la capitale soviétique. Immédiatement recruté, Streltsov incorpore les Juniors au bout de deux ans puis l'équipe fanion ensuite, le temps pour lui de battre le record du joueur le plus précoce terminant meilleur buteur du championnat, à tout juste 16 ans et demi. Logiquement, dès l’année suivante, en 1955, il est convoqué pour sa première sélection sous le maillot soviétique. Pour son premier match avec l’équipe nationale, l'attaquant désormais international va faire plus qu’impressionner avec trois buts et trois passes décisives. De quoi faire grimper sa popularité en flèche. Un an plus tard, c’est aux Jeux Olympiques de Melbourne que Eduard va de nouveau prouver son talent. Pour sa deuxième participation à cette compétition, l’URSS fait figure de sérieux prétendant en alignant dans les cages un certain Lev Yachine, au milieu l'excellent Igor Netto et à la pointe de l’attaque le duo du Torpedo: Streltsov et Ivanov. Décisif en demi face à la Bulgarie, il s'offre la médaille d'or avec une victoire en finale face à la Yougoslavie 1 but à 0. Sauf qu'il n'était pas titulaire pour le match décisif pour raison tactique. Nikita Simonyan, son remplaçant, lui offre sa médaille. La réplique est brutal: "Non, je gagnerai plein d’autres trophées." Un génie du ballon sulfureux, amateur de vodka et parfois violent, qui restera fidèle à son unique club du Torpedo, refusant par deux fois de rejoindre les deux clubs du régime (Le CSKA pour l’Armée et le Dynamo pour la Police). Sa "liberté" à lui, qui consiste à ne pas intégrer les deux fleurons de l'État, énervent les dirigeants autant que sa popularité est grande. Il affiche également une attitude un peu rebelle et n'a pas la langue dans sa poche. Offense suprême, la merveille moscovite refuse froidement les avances d’Ekaterina Furtseva, haute dirigeante du Kremlin, qui souhaitait voir Eduard épouser sa fille. Déjà fiancé, il aurait déclaré "Je ne me marierais jamais avec cette guenon." Hystérique, la proche du dirigeant soviétique Khrouchtchev en fera une affaire personnelle. Ce qui va lui coûter très cher. Il est exclu provisoirement de la sélection soviétique, puis doit faire son auto-critique pour revenir porter le maillot de l'URSS. Mais tout change le 26 mai 1958.
Photo: ©DR
Streltsov est accusé d’avoir violé la fille d’un général de l'armée rouge et condamné à douze ans de prison. Surement un coup monté, et un piège. Streltsov n'a jamais été reconnu formellement par la victime, qui n'est pas sûre de l'identité de son agresseur. Malheureusement, comme à la méthode soviétique, l'attaquant est rayé des registres mais conserve l’appui des supporters du Torpedo qui ne croient pas une seconde à cet harcèlement. Son nom n’est plus cité et devient systématiquement censuré. Il n'a pas aussi l'autorisation de disputer le Mondial en Suède organisé quelques mois après sa condamnation. Au procès, la police secrète du KGB aurait fait chanter le joueur pour qu’il reconnaisse les faits. Il prend douze ans de prison ferme. Au Goulag, il passe un temps à l'isolement, où il sera violemment battu. Devenu au fil des années un détenu modèle, seule une aubaine lui permettra de sortir de cette mauvaise passe. L'occasion arrive quand suite à la perte d’influence de Khrouchtchev et l'éviction du Politbüro de l'influente mère de "la guenon" que Streltsov bénéficie d’un allègement de peine et peut retrouver enfin la liberté au bout "seulement" de quatre années et demi passées au trou. Si il a changé, le joueur âgé désormais de 26 ans a toujours la forme, grâce aux matches organisés par les directeurs de prison qui aidait à calmer les débuts de rebellions des détenus. Il refoule les pelouses avec toujours la même réussite et retrouve le Torpedo, le club de sa vie. Après un court passage au niveau amateur, il retrouve l'équipe première pour la saison 1964-65 et remporte de nouveau le championnat d’URSS. Néanmoins, il n'est pas du voyage pour disputer le Mondial 66 avec sa sélection en Angleterre sur ordre du KGB. Il ne retrouve la sélection CCCP qu’après celle-ci et porte son total à 25 buts en 38 capes. Les années suivantes, il confirme toujours son talent avec deux titres de meilleur joueur du championnat soviétique. En 1970, avant son 33ème anniversaire, et alors que tous les fan du Torpedo espèrent qu’enfin leur vedette pourra participer à une coupe du Monde, Eduard Streltsov est victime d’une rupture du tendon d’Achille en cours de match et doit mettre un terme prématurément à sa carrière.
Il stoppe les frais en ayant planté un total de 99 pions en 222 apparitions pour le Torpedo, mais sans avoir pu disputer une seule rencontre de Coupe du Monde. Il intègre ensuite en 1974 l'encadrement du club comme entraîneur des équipes de jeunes. Décédé à l'âge de 53 ans d'un cancer de la gorge (peut-être contracté à Tchernobyl, en 1986, après un match de charité au profit des victimes), le plus talentueux footballeur soviétique de l’histoire n’a pas eu la carrière qu’il méritait, mais le peuple russe se souviendra à jamais de ses exploits.
PALMARÈS
Médaille d'or aux Jeux Olympiques de Melbourne en 1956 (URSS)
Vainqueur des Spartakiades des peuples de l'URSS en 1956 (équipe de Moscou)
Champion d’URSS en 1965 (Torpedo Moscou)
Vice-champion d’URSS en 1957 (Torpedo Moscou)
Vainqueur de la Coupe d’URSS en 1968 (Torpedo Moscou)
Finaliste de la Coupe d’URSS en 1966 (Torpedo Moscou)
DISTINCTIONS PERSONNELLES
Élu meilleur joueur de l’année d’URSS en 1967 et 1968 (Torpedo Moscou)
Meilleur buteur du championnat d’URSS en 1955 (15 buts) (Torpedo Moscou)
Maître des sports émérite de l'URSS en 1957, retiré en 1958 puis ré-attribué en 1967
À reçu l'Ordre de l'Insigne d'Honneur Soviétique en 1957
DIVERS
- Une pièce de 2 roubles où figure le portrait de Streltsov est émise en 2008. Une série de pièces de monnaie commémore les grands footballeurs, dont Streltsov faisait partie, comme Lev Yachine.
- En 2001, après des pressions de l’ancien champion du monde d’échecs Anatoly Karpov, et de l’ex-maire de Moscou Iouri Loujkov, un comité de réhabilitation est créé, visant à faire toute la lumière sur les événements dont fut victime Eduard Streltsov. On avait déjà pu voir, en 1997, Marina Lebedeva, la jeune femme qui avait prétendu que Streltsov l’avait agressée, déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe, le lendemain de la cérémonie annuelle célébrant la date de sa mort.
- En 2006, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la victoire aux Jeux Olympiques de Melbourne, le Comité Olympique russe lui a remis à titre posthume la médaille qu’il avait refusé cinquante ans plus tôt.
- Une statue est inaugurée devant le stade Olympique de Loujniki, et le Torpedo a renommé son enceinte “Stade Eduard Streltsov”, un honneur mille fois mérité pour celui dont la fidélité au club fut l’une des causes de sa descente aux enfers.
SOURCES/RESSOURCES
- Eduard Streltsov, le footballeur martyr - Cahiers du football
↑Auteur: Matthias Cunha
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